30
Hazel

— Hazel. (Percy la secouait par l’épaule.) Réveille-toi. On est arrivés à Seattle.

Elle se redressa, encore cotonneuse, et cilla à la lumière vive du soleil.

— Frank ?

Frank poussa un grognement et se frotta les yeux.

— Est-ce qu’on a… ? Est-ce que j’étais… ?

— Vous êtes tombés dans les vapes tous les deux, expliqua Percy. Je ne comprends pas pourquoi, mais Ella m’a dit de ne pas m’inquiéter. Elle a dit que vous étiez… dans un partage ?

— Partage, acquiesça Ella. (La harpie s’accroupit à la poupe et entreprit de toiletter les plumes de ses ailes avec ses dents, selon une conception de l’hygiène assez discutable. Elle recracha quelques bouloches rouges.) Partage c’est bon. Plus de trous noirs. Un trou noir possède toujours une masse non-nulle. Hazel a partagé. Plus de trous noirs.

— Ouais, fit Percy en se grattant la tête. On a eu ce genre de conversations toute la nuit. Je ne comprends pas toujours de quoi elle parle.

Hazel tâta sa poche de veste et y sentit le bout de bois enveloppé de tissu. Elle se tourna vers Frank.

— Tu y étais, toi aussi.

Frank fit oui de la tête. Il ne prononça pas un mot, mais son expression était éloquente : ce qu’il lui avait demandé là-bas, c’était sérieux. Il voulait qu’elle veille sur le tison. Elle n’aurait su dire si elle se sentait honorée ou si ça lui faisait peur : personne ne lui avait jamais confié une chose d’une telle importance.

— Une seconde, intervint Percy. Vous voulez dire que vous avez partagé le trou noir d’Hazel ? Est-ce que ça veut dire que vous allez tomber dans les vapes tous les deux, maintenant ?

— Nan, dit Ella. Nan-nan-nan. Plus de trous noirs. Des livres pour Ella. Des livres à Seattle.

Hazel regarda l’eau. Ils traversaient une grande baie, se dirigeant vers les buildings d’un centre-ville. Différents quartiers s’égrenaient sur plusieurs collines. Au sommet de la plus haute d’entre elles se dressait une tour blanche à la forme étonnante, surmontée d’une sorte de soucoupe volante comme dans les vieux films de Flash Gordon que Sammy aimait tant.

Plus de trous noirs ? songea Hazel. Elle en souffrait depuis si longtemps que ça paraissait trop beau pour être vrai.

Comment Ella pouvait-elle témoigner d’une telle certitude ? Pourtant Hazel se sentait différente… plus centrée, comme si elle avait cessé de vivre à cheval sur deux époques. Tous les muscles de son corps se détendaient. Elle avait l’impression qu’elle venait enfin de retirer une veste en plomb qu’elle avait sur le dos depuis des mois. La présence de Frank à ses côtés pendant son dernier trou noir lui avait fait du bien. Elle avait revécu tout son passé, en remontant jusqu’au présent. Maintenant, elle n’avait plus qu’à s’inquiéter de son avenir – en admettant qu’elle en ait un.

Percy dirigea la yole vers les quais du centre-ville. Quand ils s’en approchèrent, Ella se mit à gratter nerveusement son nid de livres.

Hazel fut prise d’inquiétude, elle aussi, sans savoir pourquoi. Il faisait un temps superbe et Seattle avait l’air d’une belle ville, avec ses criques et ses ponts, sa baie parsemée d’îles boisées et, en toile de fond, ces montagnes aux sommets enneigés. Il n’empêche, Hazel se sentait surveillée.

— Euh, demanda-t-elle, pourquoi on s’arrête ici ?

Percy leur montra l’anneau d’argent pendu à son cou.

— Reyna a une sœur qui vit ici. Elle m’a demandé de la chercher et de lui montrer cette bague.

— Reyna a une sœur ? répéta Frank, comme si cette idée le terrifiait.

Percy hocha la tête.

— Elle a l’air de penser que sa sœur pourrait envoyer des renforts au camp.

— Amazones, marmonna Ella. Pays des Amazones. Hum-hum. Ella préfère chercher des bibliothèques. Ella aime pas les Amazones. Féroces. Boucliers. Épées. Pointues. Ouille-ouille-ouille.

Frank saisit sa lance.

— Des Amazones ? C’est-à-dire… des guerrières ?

— Ça se tient, commenta Hazel. Si la sœur de Reyna est elle aussi fille de Bellone, on peut imaginer qu’elle s’enrôle chez les Amazones. Mais ce n’est pas dangereux pour nous d’être là ?

— Si-si-si, dit Ella. Chercher des livres c’est mieux. Amazones pas bonnes.

— Il faut qu’on essaie, insista Percy. J’ai promis à Reyna. En plus, le Pax n’est plus très vaillant. Je lui en ai demandé beaucoup depuis qu’on est partis.

Hazel baissa les yeux. Le fond de la barque prenait l’eau.

— Oh.

— Ouais, acquiesça Percy. Il va falloir qu’on le répare ou qu’on trouve un autre bateau. Là, je dirais que c’est seulement ma volonté qui le maintient entier. Ella, tu as une idée de là où on peut trouver les Amazones ?

— Et, euh, demanda Frank d’une voix tendue, elles tuent les hommes à vue, non ?

Ella jeta un coup d’œil au port du centre-ville, à quelques centaines de mètres.

— Ella retrouvera les amis plus tard. Maintenant Ella s’envole.

Et c’est ce qu’elle fit.

— Bon…, dit Frank en cueillant une plume rousse qui virevoltait dans l’air. C’est encourageant.

Ils amarrèrent à quai. Et eurent à peine le temps de décharger leurs affaires que le Pax se disloqua dans une ultime secousse. Il coula presque entièrement, à part une planche ornée d’un œil peint et une autre avec la lettre P, qui tanguèrent sur les vagues.

— Voilà une question réglée, dit Hazel. Et maintenant ?

Percy leva les yeux vers les collines escarpées du centre de Seattle.

— On croise les doigts pour que les Amazones nous aident.

 

Ils cherchèrent des heures durant. Ils trouvèrent un excellent chocolat au caramel salé dans une confiserie. Burent du café si corsé qu’Hazel eut l’impression que sa tête s’était changée en gong. S’arrêtèrent à une terrasse et mangèrent de délicieux sandwiches au saumon grillé. À un moment donné, ils aperçurent Ella qui montait en chandelle entre deux tours, un grand livre dans chaque patte. Mais aucune trace des Amazones. Hazel avait une conscience exacerbée des minutes qui passaient. Ils étaient déjà le 22 juin et l’Alaska était encore loin.

Leurs pas finirent par les mener dans le sud du centre-ville, sur une place entourée d’immeubles moins hauts, en verre et brique. Les nerfs d’Hazel se tendirent. Elle regarda autour d’elle, certaine d’être observée.

— Là-bas, lança-t-elle.

L’immeuble de bureaux sur leur gauche portait un seul nom gravé sur l’une des portes de verre : AMAZON.

— Ah, dit Frank. Euh, non, Hazel. C’est un truc moderne, ça. C’est une entreprise, non ? Ils vendent des trucs sur Internet. Ce ne sont pas de véritables Amazones.

— À moins que…, commença Percy, qui franchit les portes de verre.

Hazel avait un mauvais pressentiment, mais, comme Frank, elle suivit Percy à l’intérieur du bâtiment.

Le hall ressemblait à un aquarium vide : des murs en verre, un sol noir et brillant, de rares plantes vertes et c’était à peu près tout. Contre le mur du fond, il y avait un escalier de pierre noire, qui montait vers les étages et s’enfonçait en sous-sol. Au milieu de la salle se tenait une jeune femme aux longs cheveux auburn en tailleur-pantalon, équipée d’une oreillette de vigile. « Kinzie », annonçait son badge d’identité. Elle leur sourit aimablement, mais ses yeux rappelèrent à Hazel les policiers qui patrouillaient dans le quartier français la nuit, à La Nouvelle-Orléans. Ils vous donnaient toujours l’impression de regarder à travers vous, comme s’ils se demandaient qui risquait de les attaquer.

Kinzie adressa un coup de menton à Hazel, ignorant les garçons.

— Je peux vous aider ?

— Euh… je l’espère, répondit Hazel. Nous cherchons les Amazones.

Kinzie jeta un coup d’œil à l’épée d’Hazel, puis à la lance de Frank, pourtant censées être masquées par la Brume.

— Vous êtes sur le campus principal d’Amazon, dit-elle prudemment. Avez-vous rendez-vous avec quelqu’un, ou…

— Hylla, interrompit Percy. Nous cherchons une fille qui s’appelle…

Kinzie agit si vite que les yeux de Hazel eurent du mal à suivre. D’un coup de pied en plein torse, elle envoya Frank voltiger en arrière. Avec le plat d’une épée qui s’était matérialisée dans sa main, elle jeta Percy à terre, puis elle lui appuya la pointe sous le menton.

Trop tard, Hazel voulut dégainer. Une douzaine de filles, épées à la main, surgirent par l’escalier et l’encerclèrent.

Kinzie fusilla Percy du regard.

— Règle numéro 1, dit-elle, les mâles ne parlent pas sans en avoir reçu la permission. Règle numéro 2 : s’introduire sans autorisation dans notre territoire est passible de mort. Vous allez rencontrer la reine Hylla, pas de souci. C’est elle qui décidera de votre sort.

 

Les Amazones confisquèrent les armes du trio et lui firent descendre tant d’étages qu’Hazel en perdit le compte.

Ils débouchèrent enfin dans une caverne assez vaste pour loger une dizaine de lycées avec leurs terrains de sport. D’austères néons s’alignaient sur le plafond de pierre. Des courroies de transmission sillonnaient l’espace comme des toboggans dans un centre aquatique, transportant des boîtes dans toutes les directions. Des rangées d’étagères métalliques s’étendaient à perte de vue, couvertes de cartons de marchandises. Des grues et des bras de robot s’actionnaient avec des ronronnements mécaniques, pliant, emballant, chargeant et déchargeant les cartons des courroies de transmission. Certaines étagères étaient si hautes qu’on ne pouvait y accéder que par des échelles et par les passerelles qui couraient sous le plafond comme les cintres d’une scène de théâtre.

Hazel se souvint des actualités qu’elle voyait au cinéma quand elle était petite. Elle avait toujours été impressionnée par les images des usines où l’on construisait les avions et les armes pour l’effort de guerre – des armes qui sortaient chaque jour par centaines des chaînes de montage. C’était pourtant sans commune mesure avec ce qu’elle avait maintenant sous les yeux ; de surcroît, le travail était presque entièrement fait par des ordinateurs et des robots. Les seuls humains que vit Hazel étaient des gardiennes de sécurité en tailleur-pantalon noir qui patrouillaient sur les passerelles et quelques hommes en combinaison de travail orange, style uniforme de prison américaine, qui circulaient dans les allées avec des chariots élévateurs et livraient des palettes de marchandises. Les hommes avaient des colliers de fer autour du cou.

— Vous avez des esclaves ? ne put s’empêcher de demander Hazel, scandalisée, même si elle savait que la prudence conseillait de garder le silence.

— Les hommes ? rétorqua Kinzie en plissant le nez. Ce ne sont pas des esclaves, ils connaissent leur rang, c’est tout. Et maintenant, avance.

Ils marchèrent tant qu’Hazel finit par avoir mal aux pieds. Juste au moment où elle pensait qu’ils arrivaient enfin au bout de l’entrepôt, Kinzie poussa de larges portes battantes et les fit entrer dans une deuxième caverne aussi grande que la première.

— Les Enfers eux-mêmes ne sont pas aussi étendus, bougonna Hazel, ce qui n’était sans doute pas vrai mais qui, vu de ses pieds, semblait bien être le cas.

Kinzie sourit avec suffisance.

— Tu admires notre base d’opérations ? Oui, nous avons un réseau de distribution mondial. Il a fallu des années et le plus gros de notre fortune pour le bâtir. Maintenant, enfin, nous faisons du bénéfice. Les mortels ne se rendent pas compte qu’ils financent le royaume d’Amazon. Bientôt, nous serons plus riches qu’aucune nation mortelle. Alors, quand les faibles mortels dépendront de nous pour tout, la révolution commencera !

— Qu’allez-vous faire ? grommela Frank. Interdire les livraisons gratuites ?

Une vigile lui enfonça le manche de son épée dans le ventre. Percy voulut l’aider, mais deux autres gardiennes le repoussèrent à la pointe de leur épée.

— Vous allez apprendre le respect, dit Kinzie. Ce sont des mâles comme vous qui ont gâché le monde des mortels. Les seules sociétés harmonieuses sont celles que dirigent des femmes. Nous sommes plus fortes, plus sages…

— Plus modestes, ajouta Percy.

Les vigiles essayèrent de le frapper, mais Percy se baissa pour esquiver.

— Arrêtez ! s’écria Hazel.

À sa propre surprise, les vigiles lui obéirent.

— Hylla va nous juger, n’est-ce pas ? reprit Hazel. Alors emmenez-nous à Hylla. On perd du temps, là.

— Tu as peut-être raison, dit Kinzie en hochant la tête. Nous avons des problèmes plus importants, et le temps… le temps joue un rôle essentiel.

— Comment ça ? demanda Hazel.

— On pourrait les emmener directement à Otrera, grommela une gardienne de sécurité. Comme ça on se ferait bien voir.

— Non ! aboya Kinzie. Je préférerais porter un collier de fer et conduire un chariot élévateur. Hylla est notre reine.

— Jusqu’à ce soir, marmonna une autre gardienne.

Kinzie serra le pommeau de son épée et Hazel vit le moment où les Amazones allaient se battre entre elles, mais Kinzie se domina.

— Ça suffit, dit-elle. Allons-y.

Ils traversèrent une voie de circulation pour chariots élévateurs, zigzaguèrent dans un labyrinthe de courroies de transmission, passèrent en se courbant sous une rangée de bras robotisés qui emballaient des boîtes.

Les marchandises, pour la plupart, étaient assez banales : des livres, du matériel électronique, des couches pour bébé. Cependant, contre un mur, il y avait un char de guerre tamponné d’un grand code-barres sur le côté. Au timon pendait une pancarte marquée : PLUS QU’UN SEUL EXEMPLAIRE EN STOCK. RÉASSORT DEMANDÉ !

Ils parvinrent enfin dans une caverne plus petite qui semblait faire office à la fois d’aire de chargement et de salle du trône. Les murs étaient couverts de blocs de rangement de six étages de haut, décorés de drapeaux de guerre, de boucliers peints et de têtes empaillées – dragons, hydres, lions géants, sangliers. De part et d’autre, des dizaines de chariots élévateurs customisés pour la guerre montaient la garde. Un mâle en collier de fer conduisait chaque véhicule, mais, sur la plate-forme arrière, se tenait une Amazone qui maniait une immense arbalète montée. Les dents des fourches des chariots avaient été taillées en pointe pour former des lames d’épée géantes.

Dans cette caverne, certaines étagères étaient chargées de cages contenant des animaux vivants. Hazel n’en croyait pas ses yeux : il y avait des molosses, des aigles géants, un hybride de lion et d’aigle qui devait être un griffon et une fourmi rouge grosse comme une voiture à deux portes.

Horrifiée, elle regarda un chariot élévateur traverser la salle en flèche, charger une cage contenant un superbe pégase blanc et repartir avec tout aussi vite, malgré les hennissements de protestation du cheval.

— Qu’est-ce que vous faites à cette pauvre bête ? demanda Hazel.

Kinzie fronça les sourcils.

— Le pégase ? T’inquiète pas pour lui. Quelqu’un a dû le commander. Les frais d’expédition et de manutention sont élevés, mais…

— On peut acheter un pégase en ligne ? s’étonna Percy.

Kinzie le gratifia d’un regard noir.

— Pas toi, le mâle, évidemment. Mais les Amazones, oui. Nous avons des adeptes dans le monde entier. Elles ont besoin d’équipement. Par ici.

Au fond de l’entrepôt se dressait une estrade faite avec des palettes de livres : des piles d’histoires de vampires, des murs de thrillers de James Patterson et un trôné réalisé avec un bon millier d’exemplaires d’un ouvrage intitulé Cinq clés pour développer son agressivité.

Plusieurs Amazones en treillis se disputaient fiévreusement au bas des marches, aux pieds d’une jeune femme – la reine Hylla, devina Hazel – qui les observait et les écoutait de son trône.

Hylla avait autour de vingt ans et elle était agile et svelte comme une tigresse. Elle portait une combinaison de cuir noire et des bottes noires. Elle n’avait pas de couronne, mais une ceinture étrange à la taille, faite de maillons d’or entrelacés. Hazel fut stupéfaite de sa ressemblance avec Reyna : elle était un peu plus âgée, peut-être, mais elle avait les mêmes longs cheveux noirs, les mêmes yeux foncés et la même dureté dans le regard, comme si elle était en train d’estimer laquelle des Amazones présentes devant elle méritait la mort.

Kinzie jeta un bref coup d’œil à la dispute et son visage se révulsa.

— Les espionnes d’Otrera et leurs sales rumeurs, lâcha-t-elle.

— Comment ? demanda Frank.

À cet instant, Hazel pila si abruptement que les gardiennes qui la suivaient titubèrent. À quelques pas du trône de la reine, deux Amazones gardaient une cage. À l’intérieur se tenait un cheval magnifique – il n’était pas ailé ; ce n’était pas un pégase, mais un majestueux et puissant étalon à la robe miel et à la crinière noire. Il posa le regard sur Hazel et elle aurait juré qu’elle lisait de l’impatience dans ses yeux, comme s’il voulait lui dire : « Pas trop tôt. »

— C’est lui, murmura Hazel.

— Lui qui ? demanda Percy.

Kinzie eut l’air agacée, mais lorsqu’elle vit ce que regardait Hazel, son expression s’adoucit.

— Ah oui, dit-elle. Une merveille, n’est-ce pas ?

Hazel battit des paupières pour s’assurer qu’elle n’était pas en train d’halluciner. C’était le cheval qu’elle avait poursuivi en Alaska. Elle en était certaine… pourtant c’était impossible. Aucun cheval ne pouvait vivre si longtemps.

— Est-il…, demanda-t-elle d’une voix qu’elle maîtrisait difficilement. Est-il à vendre ?

Les vigiles éclatèrent toutes de rire.

— C’est Arion, expliqua Kinzie avec patience, comme si elle comprenait qu’Hazel soit fascinée par l’animal. Il fait partie des trésors royaux des Amazones. Il est destiné à notre guerrière la plus courageuse et à personne d’autre, à en croire la prophétie.

— La prophétie ? demanda Hazel.

Kinzie eut l’air attristée et, surtout, gênée.

— Peu importe, dit-elle. Mais non, il n’est pas à vendre.

— Alors pourquoi est-il en cage ?

Kinzie tiqua.

— Parce que… parce qu’il est rétif.

Comme pour lui donner raison, l’étalon frappa la tête contre la porte de la cage. Les barreaux tremblèrent et ses gardiennes reculèrent craintivement.

Hazel voulait libérer ce cheval. Elle le voulait plus fort qu’elle n’avait jamais rien voulu. Mais Percy, Frank et une douzaine de gardiennes la dévisageaient avec étonnement, aussi s’efforça-t-elle de cacher son émotion.

— C’était juste pour savoir, parvint-elle à dire. Allons voir la reine.

La dispute prenait de l’ampleur. Finalement, la reine, remarquant le groupe d’Hazel qui approchait, lança :

— Ça suffit !

Les Amazones qui se querellaient firent immédiatement le silence. La reine les congédia d’un geste et fit signe à Kinzie d’avancer.

Kinzie poussa Hazel et ses amis vers le trône.

— Ma reine, dit-elle, ces demi-dieux…

La reine se leva d’un bond.

— Toi ! s’écria-t-elle, les yeux brûlant d’une fureur meurtrière.

Percy murmura quelque chose en grec ancien qui aurait sans doute déplu aux sœurs de Sainte Agnès.

— Bloc-notes, dit-il. Centre de remise en forme. Pirates.

Hazel n’y comprenait rien, mais la reine hocha la tête. Elle descendit de son estrade de best-sellers et tira un poignard de sa ceinture.

— Tu as fait preuve d’une bêtise remarquable en venant ici, dit-elle. Tu as détruit mon foyer. Tu nous as réduites, ma sœur et moi, à l’exil et à la captivité.

— Percy, demanda Frank avec inquiétude. De quoi parle cette femme terrifiante ?

— L’île de Circée, dit Percy. Ça vient juste de me revenir. Je me demande si le sang de gorgone ne commence pas à guérir mon esprit. La Mer des Monstres. Hylla… Elle nous avait accueillis au quai et nous avait emmenés voir sa patronne. Hylla travaillait pour l’enchanteresse.

Hylla montra des dents blanches parfaites.

— Tu veux dire que tu as eu une amnésie ? Tu sais quoi, je veux bien te croire. Sinon, pourquoi aurais-tu eu la bêtise de venir ici ?

— Nous venons en paix, insista Hazel. Qu’a fait Percy ?

— En paix ? (La reine toisa Hazel en levant les sourcils.) Ce mâle a détruit l’école de magie de Circée !

— Circée m’avait transformé en cochon d’Inde ! protesta Percy.

— Pas d’excuses ! Circée était une patronne sage et généreuse. J’avais le gîte et le couvert, une bonne assurance-maladie, des léopards apprivoisés, des potions gratuites… tout ! Et ce demi-dieu, là, avec son amie, la blonde…

— Annabeth. (Percy se tapa le front comme s’il voulait hâter les souvenirs.) C’est vrai. J’étais avec Annabeth.

— Tu as libéré nos prisonniers, Barbe-Noire et ses pirates. (Elle se tourna vers Hazel.) As-tu déjà été enlevée par des pirates ? Crois-moi, c’est pas une partie de plaisir. Ils ont réduit notre spa en cendres. Ma sœur et moi sommes restées prisonnières pendant des mois. Heureusement que nous sommes des filles de Bellone. Nous avons vite appris à nous battre. Sinon… (Elle frissonna.) Bref, nous avons pu nous faire respecter par les pirates. Pour finir, nous avons gagné la Californie où nous… (Elle s’interrompit comme si le souvenir était douloureux.) Où ma sœur et moi nous sommes parties chacune de notre côté.

Elle s’avança si près de Percy que leurs nez se touchaient presque, et lui glissa la pointe de son poignard sous le menton.

— J’ai vécu, bien sûr, et réussi au-delà de toute espérance, puisque je suis devenue la reine des Amazones. Je devrais peut-être te remercier.

— De rien, dit Percy.

La reine enfonça légèrement la pointe de sa dague.

— Peu importe. Je crois que je vais te tuer.

— Attends ! s’écria Hazel. C’est Reyna qui nous envoie ! Ta sœur ! Regarde la bague qu’il a au cou.

Hylla fronça les sourcils. Elle fit glisser son poignard jusqu’au lacet de cuir que Percy portait autour du cou. Et blêmit.

— Explique-moi ça, dit-elle en fusillant Hazel du regard. Et vite.

Hazel fit de son mieux. Elle décrivit le Camp Jupiter, expliqua aux Amazones que Reyna en était le préteur et qu’une armée de monstres marchait sur le camp. Elle leur parla de leur quête pour libérer Thanatos en Alaska.

Pendant qu’Hazel racontait tout cela, un autre groupe d’Amazones entra dans la salle. L’une d’elles se distinguait par sa grande taille et son âge, nettement plus avancé ; ses cheveux argentés étaient tressés et elle portait des robes en soie comme une matrone romaine. Les Amazones s’écartaient devant elle, lui témoignant un tel respect qu’Hazel se demanda si c’était la mère d’Hylla – avant de remarquer qu’elles échangeaient des regards tranchants comme des poignards.

— Nous avons donc besoin de votre aide, conclut Hazel. Reyna a besoin de ton aide.

Hylla attrapa le collier de Percy et l’arracha d’un geste brutal – lacet de cuir, perles, bague et plaque de probatio.

— Reyna… cette imbécile…

— Eh bien ! interrompit la matrone. Les Romains ont besoin de notre aide ?

Elle rit, et les Amazones qui l’entouraient l’imitèrent.

— Combien de fois avons-nous combattu les Romains, à mon époque ? demanda la matrone. Combien de nos sœurs ont-ils tuées dans la bataille ? Lorsque j’étais reine…

— Otrera, l’interrompit Hylla, tu es ici en tant qu’invitée. Tu n’es plus reine.

La matrone écarta les bras et fit mine de s’incliner.

— Le fait est ! – Du moins jusqu’à ce soir. Mais je dis la vérité, reine Hylla. (Elle insista sur le mot « reine » avec sarcasme.) C’est la Mère Nourricière en personne qui m’a ramenée en ce monde ! Je viens vous annoncer une nouvelle guerre. Pourquoi nous autres, Amazones, obéirions-nous à Jupiter, le stupide roi de l’Olympe, quand nous pouvons nous ranger derrière une reine ? Lorsque je serai au pouvoir…

— Si tu accèdes au pouvoir, dit Hylla. Pour l’heure, c’est moi la reine et mes paroles font loi.

— Je vois. (Otrera balaya du regard l’assemblée. Les Amazones étaient parfaitement immobiles, comme si elles étaient dans une fosse avec deux tigres sauvages.) Sommes-nous devenues tellement faibles que nous écoutons des demi-dieux mâles ? Vas-tu épargner ce fils de Neptune alors qu’il a détruit ton ancien foyer ? Peut-être le laisseras-tu détruire ton nouveau foyer, à présent !

Hazel retint son souffle. Les Amazones regardaient tantôt Hylla, tantôt Otrera, à l’affût d’un signe de faiblesse.

— Je jugerai, déclara Hylla d’une voix glaciale, une fois que j’aurai connaissance de tous les faits. C’est comme cela que je gouverne : par la raison, et non par la peur. Je vais commencer par celle-ci. (Elle pointa Hazel du doigt.) Il est de mon devoir d’écouter une guerrière avant de la condamner à mort, elle ou ses alliés. C’est ainsi que les Amazones rendent justice. À moins que tes années aux Enfers aient brouillé ta mémoire, Otrera ?

La matrone plissa le nez, mais n’insista pas.

Hylla se tourna vers Kinzie.

— Emmène ces mâles en cellule. Toutes les autres, laissez-nous.

Otrera leva la main et s’adressa à la foule.

— Aux ordres de notre reine ! Et que celles qui désirent en apprendre davantage sur Gaïa et notre glorieux avenir avec elle me suivent !

Environ la moitié des Amazones lui emboîta le pas quand elle quitta la salle. Kinzie grimaça avec dégoût, puis elle et ses vigiles entraînèrent Frank et Percy.

Hazel et Hylla se retrouvèrent seules, avec la garde rapprochée de la reine. Sur un signe de celle-ci, la garde s’éloigna hors de portée de voix.

La reine se tourna vers Hazel. Sa colère tomba, et Hazel lut le désespoir dans ses yeux. La reine ressemblait à l’un de ses animaux en cage quand on les expédiait sur une courroie de transmission.

— Il faut qu’on parle, dit Hylla. Nous n’avons pas beaucoup de temps. D’ici à minuit, je serai sans doute morte.

Le Fils de Neptune_By Sly
titlepage.xhtml
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_000.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_001.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_002.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_003.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_004.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_005.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_006.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_007.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_008.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_009.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_010.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_011.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_012.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_013.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_014.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_015.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_016.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_017.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_018.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_019.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_020.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_021.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_022.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_023.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_024.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_025.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_026.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_027.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_028.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_029.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_030.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_031.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_032.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_033.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_034.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_035.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_036.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_037.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_038.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_039.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_040.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_041.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_042.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_043.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_044.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_045.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_046.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_047.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_048.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_049.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_050.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_051.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_052.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_053.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_054.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_055.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_056.htm
Le Fils de Neptune [Heros de l'Olympe 02] Rick Riordan_By Sly_split_057.htm